Fil de navigation

La mère d'une fillette de quatre ans, séparée du père de son enfant, sollicite la commission à propos d'un rapport d'expertise psychologique familial ordonné par un juge aux Affaires Familiales (JAF).
Après une période de garde alternée, dans un contexte de conflit parental et familial important, et suite à deux signalements concernant des événements qui se seraient produits dans la famille paternelle de la fillette, le JAF a attribué la résidence habituelle de l'enfant à la mère, avec suspension provisoire du droit de visite pour le père et instauration d'un droit de visite encadré dans un lieu neutre. Il a également ordonné un examen psychologique familial, aux fins de statuer sur l'exercice de l'autorité parentale et le droit de visite et d'hébergement.
Dans la conclusion de son rapport, le psychologue expert préconise l'attribution de la résidence habituelle de l'enfant au père, ainsi qu'un droit de visite et d'hébergement régulier pour la mère.

S'appuyant sur plusieurs articles du code de déontologie des psychologues, la demandeuse interroge le contenu de l'écrit produit et la manière dont le psychologue a conduit son expertise :
Elle note que le psychologue a refusé "de prendre connaissance des documents et certificats [qu'elle souhaitait] lui communiquer […] et n'a pas pris contact avec la psychologue qui suit [l'enfant] depuis un an et demi pour raisons 'déontologiques' ".
Elle se réfère à une interview du psychologue sur le thème de l'expertise psychologique, demandant : "a-t-[il] réalisé notre expertise comme un cas général ou comme un cas particulier".
Elle ajoute : "en ce qui concerne les divers entretiens que j'ai pu avoir avec cette personne, les propos rapportés […] ont été souvent déformés ou sortis de leur contexte", estimant que le psychologue "prend fait et cause pour la famille" paternelle. Elle cite, à ce propos, plusieurs passages de l'expertise.
La demandeuse soumet le rapport d'expertise et les pièces s'y rapportant "à l'appréciation" de la commission, souhaitant qu'elle lui fasse part de ses commentaires.

Documents joints :
Photocopie du rapport d'examen psychologique familial réalisé par un psychologue expert (document de 26 pages, étayé sur 15 rencontres des différents membres de la famille),
Dix autres photocopies de documents, certificats, ordonnances, jugement et courrier,
Enregistrement de l'interview du psychologue.

Posté le 15-11-2011 16:31:00

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2010

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Intervention d’un psychologue
Précisions :
Expertise judiciaire

Questions déontologiques associées :

- Compétence professionnelle (Formation (formation initiale, continue, spécialisation))
- Compétence professionnelle (Qualité scientifique des actes psychologiques)
- Responsabilité professionnelle
- Autonomie professionnelle
- Diffusion de la psychologie
- Traitement équitable des parties
- Évaluation (Droit à contre-évaluation)
- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Probité
- Respect du but assigné
- Discernement

Comme le rappelle l'avertissement précédent, la commission n'a ni vocation ni mandat pour juger de la pratique d'un psychologue et en l'occurrence apprécier le contenu ou l'organisation d'une expertise psychologique. Elle ne peut que tenter d'éclairer cette pratique à la lumière du code de déontologie et proposer notamment une réflexion sur les conditions optimales de la réalisation des différentes missions du psychologue.

Au regard des questions soulevées par la demandeuse, la commission traitera des points suivants :
Compétence, responsabilité et indépendance professionnelle du psychologue
Diffusion de la psychologie auprès du public
Traitement équitable des parties et critères présidant au travail d'expertise psychologique.

Compétence, responsabilité et indépendance professionnelle du psychologue

Une expertise psychologique constitue un important travail de réalisation d'entretiens avec une ou des personnes, de recueil et d'analyse de données à partir de ces rencontres, d'élaboration de celles-ci puis enfin, de rédaction d'un ensemble d'observations et de conclusions.
Pour ce faire, le psychologue expert planifie et programme les entretiens, examens psychologiques, tests qu'il estime nécessaires à la compréhension d'une situation de manière à l'appréhender au mieux dans toute sa complexité et avec le maximum d'objectivité.
Lors d'un examen psychologique familial, c'est à lui qu'incombe de déterminer quels membres de la famille il va rencontrer, et dans quel contexte, c'est à dire seuls, en couple, en groupe. Il peut ainsi lui apparaître nécessaire de rencontrer plusieurs fois l'enfant (ou les enfants) seul, avec chacun de ses parents ou encore avec ses deux parents ou d'autres membres de la famille pour tenter de saisir de manière fine et la plus exhaustive possible les interactions et enjeux familiaux.
Outre une formation initiale universitaire, le psychologue a en principe été formé à ce travail d'expertise et/ou dispose d'une expérience conséquente en la matière, ce qui lui permet de produire un rapport écrit de qualité, solidement étayé et documenté.
Pour l'organisation de son travail, le psychologue expert a toute latitude, le seul fil conducteur de sa démarche étant la réponse à la ou aux questions pour lesquelles il a été missionné. Il est d'ailleurs essentiel, pour la conduite de son examen, qu'il agisse en toute indépendance, sans se laisser influencer par des pressions d'aucune sorte.
Dans ce cadre, il peut juger approprié de s'abstenir de rencontrer d'autres collègues psychologues ou professionnels (de santé, sociaux…) qui ont eu à connaître les personnes faisant l'objet de l'expertise ou assurent encore leur suivi.
Travailler de manière indépendante permet aussi de porter un regard neuf sur une situation, et de prendre le recul nécessaire.
Plusieurs passages du code, principes généraux du titre I ou articles, évoquent ces notions de compétence, de responsabilité mais aussi d'indépendance propres à l'exercice du psychologue et qui lui permettent de s'acquitter d'une mission avec rigueur et sérénité :

Titre I-2 Compétence : Le psychologue tient ses compétences de connaissances théoriques régulièrement mises à jour, d'une formation continue et d'une formation à discerner son implication personnelle dans la compréhension d'autrui. Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières et définit ses limites propres, compte tenu de sa formation et de son expérience. Il refuse toute intervention lorsqu'il sait ne pas avoir les compétences requises.
Titre I-3 Responsabilité : Outre les responsabilités définies par la loi commune, le psychologue a une responsabilité professionnelle. Il s'attache à ce que ses interventions se conforment aux règles du présent Code. Dans le cadre de ses compétences professionnelles, le psychologue décide du choix et de l'application des méthodes et techniques psychologiques qu'il conçoit et met en œuvre. Il répond donc personnellement de ses choix et des conséquences directes de ses actions et avis professionnels.
Titre I-7 Indépendance professionnelle : Le psychologue ne peut aliéner l'indépendance nécessaire à l'exercice de sa profession sous quelque forme que ce soit.
Article 12 : Le psychologue est seul responsable de ses conclusions. Il fait état des méthodes et outils sur lesquels il les fonde, et il les présente de façon adaptée à ses différents interlocuteurs, de manière à préserver le secret professionnel. (…)

Diffusion de la psychologie auprès du public

Un psychologue a la possibilité s'il le souhaite, de témoigner de son savoir, de sa pratique et de son expérience, soit à travers une forme d'enseignement ou de transmission auprès d'étudiants ou de pairs, soit auprès d'un public plus large, à travers des publications et interventions audiovisuelles (conférences, radio, télévision, internet). Son témoignage peut être précieux pour la communauté professionnelle et permet d'informer également des personnes non psychologues sur une thématique précise.
Dans ce dernier cas, il doit être vigilant d'une part à ce que ses propos ne contreviennent pas aux règles du code de déontologie de sa profession et d'autre part à ne pas faire état dans le détail des méthodes et techniques qu'il emploie.
En ce qui concerne d'éventuelles hypothèses explicatives ou développements théoriques à propos d'une pathologie ou problématique, il doit veiller à être pédagogue, clair, prudent dans leur énonciation et à bien préciser le contexte de leur élaboration.

Les articles 25 et 26 explicitent les conditions de cette diffusion :

Article 25 : Le psychologue a une responsabilité dans la diffusion de la psychologie, auprès du public et des médias. Il fait de la psychologie et de ses applications une présentation en accord avec les règles déontologiques de la profession. Il use de son droit de rectification pour contribuer au sérieux des informations communiquées au public.
Article 26 : Le psychologue n'entre pas dans le détail des méthodes et techniques psychologiques qu'il présente au public, et il l'informe des dangers potentiels d'une utilisation incontrôlée de ces techniques.
Dans la situation de présentation de cas, le psychologue doit veiller à l'anonymat des personnes et à la préservation de leur dignité et bien-être :

Article 32 : (…) les présentations de cas se font dans le respect de la liberté de consentir ou de refuser, de la dignité et du bien-être des personnes présentées.

Traitement équitable des parties et critères présidant au travail d'expertise psychologique.

Ainsi qu'il a été dit précédemment, une expertise psychologique est un travail complexe et rigoureux d'analyse et compréhension d'une ou de personnalités singulières, de dynamiques personnelles et familiales, de mise à jour d'éléments explicatifs de symptômes, mises en actes, dysfonctionnements, conflits, dissensions.
Il requiert par conséquent la garantie d'un certain nombre de critères et règles parmi lesquels, en premier lieu, le traitement équitable des parties.

Le psychologue expert doit en effet veiller au traitement équitable des différentes personnes rencontrées, afin que chacun puisse être entendu, reconnu dans ses arguments et choix et que la synthèse produite soit la plus exhaustive et objective possible.
C'est précisément pour éviter toute forme de parti pris que le psychologue sera particulièrement attentif à cette règle et aura le souci d'accorder autant d'attention à chaque protagoniste. Les psychologues experts notent d'ailleurs en préalable de leur écrit les dates des rencontres réalisées et l'identité des personnes concernées par chacune d'elles.

Article 9 : (…) Dans les situations d'expertise judiciaire, le psychologue traite de façon équitable avec chacune des parties et sait que sa mission a pour but d'éclairer la justice sur la question qui lui est posée et non d'apporter des preuves.
Il pourra également rappeler aux personnes concernées, autant que de besoin, la possibilité de solliciter auprès du juge une contre-évaluation :

Article 9 : (…) Dans toutes les situations d'évaluation, quel que soit le demandeur, le psychologue rappelle aux personnes concernées leur droit à demander une contre-évaluation. (…).
D'autres critères sont importants et notamment la probité et la qualité scientifique du psychologue. Deux principes du titre I déclinent ces notions : 

Titre I-4 Probité : Le psychologue a un devoir de probité dans toutes ses relations professionnelles. Ce devoir fonde l'observance des règles déontologiques et son effort continu pour affiner ses interventions, préciser ses méthodes et définir ses buts.
Titre I-5 Qualité scientifique : Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée de leurs fondements théoriques et de leur construction. (…)
Le psychologue, dans l'accomplissement de sa tâche d'expertise répond en outre à un "but assigné", c'est-à-dire à une ou des questions ou demandes précises formulées par le juge qui l'a missionné. Dans le cas présent, l'expertise est réalisée "aux fins de statuer sur l'exercice de l'autorité parentale et le droit de visite et d'hébergement". A cet effet, le psychologue est libre de choisir les méthodes et modalités qui lui paraissent le plus appropriées, dans la mesure où il apporte une réponse effective à la question posée. Le principe I-6 illustre ce point :

Titre I-6 Respect du but assigné : Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. Tout en construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue doit donc prendre en considération les utilisations possibles qui peuvent éventuellement en être faites par des tiers.
Dans le cadre d'une expertise, le rapport écrit est prioritairement destiné au juge et a pour vocation d'éclairer sa décision. Il est également important de rappeler qu'in fine, c'est bien sûr toujours le juge et seulement lui qui rend cette décision.

Enfin, le psychologue en charge d'une expertise doit faire preuve de discernement et de prudence dans ses analyses, ce qui ne signifie pas qu'il ne doit pas se positionner et formuler des préconisations dûment argumentées. Deux articles éclairent cette attitude professionnelle, si précieuse au psychologue : 

Article 17 : La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques qu'il met en œuvre. Elle est indissociable d'une appréciation critique et d'une mise en perspective théorique de ces techniques.
Article 19 : Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives sur les aptitudes ou la personnalité des individus, notamment lorsque ces conclusions peuvent avoir une influence directe sur leur existence.
Dans ces situations très sensibles, où l'enfant se retrouve souvent "au milieu" du conflit parental, l'expertise psychologique peut révéler des enjeux affectifs complexes. Pour la conduire, le psychologue doit donc à la fois répondre à la question posée par le juge et veiller à son impartialité dans un contexte rendu difficile par les attentes très fortes et contradictoires des parents et le mal être de l’enfant, pris dans ce conflit.
Ainsi la préservation de la neutralité psychologique dans le cadre d’une expertise judiciaire est un réel enjeu déontologique, dont le code peut être un garant solide.

 

Avis rendu le 21 Avril 2010
Pour la CNCDP
Le Président
Patrick COHEN

 

Articles du code cités dans l'avis : Titres I-2, I-3, I-4, I-5, I-6, I-7, Articles 9, 12, 17, 19, 25, 26, 32.

Télécharger l'avis

Avis 10-02.doc

Recherche