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Une mère sollicite la Commission au sujet d'une expertise psychologique dont elle a été l'objet, dans le cadre d'une demande de placement pour sa fille adoptive âgée de 17 ans. Cette expertise a été ordonnée par le Juge aux affaires familiales (JAF).

Les questionnements de la demandeuse portent sur l'expertise qu’elle a lue dans le bureau des greffes, et sur l’information préalable à l’entretien d’expertise. Ainsi, elle demande si la psychologue a « le droit de ne pas [l'] informer [qu'elle n'est] pas tenue de révéler quoi que soi sur [elle-même] », si elle a « le droit de transmettre ses conclusions au juge sans [lui] permettre de les lire auparavant ». La demandeuse s'interroge également sur le « droit » de la psychologue d’avancer des éléments d’interprétations psychologiques la mettant en cause, dans l’éducation donnée à sa fille et sur sa personnalité. Enfin, la demandeuse souhaiterait connaître ses recours pour « que cette experte ne puisse plus nuire à d'autres personnes ».

Posté le 28-10-2014 20:16:10

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2012

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre psycho et patient/ tiers/ professionnel non psy

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’expertise judiciaire

Questions déontologiques associées :

- Compétence professionnelle (Elaboration des données , mise en perspective théorique)
- Consentement éclairé
- Discernement
- Évaluation (Droit à contre-évaluation)
- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Information sur la démarche professionnelle
- Reconnaissance de la dimension psychique des personnes
- Respect de la loi commune
- Respect de la personne
- Responsabilité professionnelle
- Transmission de données psychologiques (Compte rendu à l’intéressé)

Comme il est expliqué dans l’avertissement ci-dessus, la CNCDP a pour mission de rendre des avis consultatifs sur des situations décrites par des demandeurs, à la lumière du code de déontologie des psychologues. De ce fait, elle n’a pas pour vocation d'apprécier la qualité des écrits d’un psychologue, ou de ses conclusions.

La Commission se propose d’aborder les points suivants :

  • Le cadre de la rencontre avec un psychologue lors d'une expertise psychologique et les règles déontologiques encadrant la rédaction du rapport

  • Le « droit » et le code de déontologie,

  • La possibilité d'une contre évaluation.

    1. 1. Le cadre de la rencontre avec un psychologue lors d’une expertise psychologique et les règles déontologiques encadrant la rédaction du rapport

Dans le cadre d’une expertise psychologique ordonnée par le juge, le psychologue est mandaté pour donner un éclairage au magistrat en vue de sa prise de décision, et ce principalement dans l’intérêt de l’enfant. L'expertise psychologique pose de facto des questions éthiques et déontologiques, du fait de son objectif, du contexte de la rencontre entre la personne et le psychologue, de ses contraintes et de son caractère imposé. Même dans ce contexte particulier, où la demande n’émane pas de la personne qui consulte, mais d'un tiers (en l'occurrence le JAF), le psychologue s’efforce d’établir une relation qui soit respectueuse de la dimension psychique de la personne. Le psychologue expert ne peut donc pas se soustraire à un questionnement déontologique.

Article 2 : La mission fondamentale du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. [...]

L'intervention du psychologue expert est orientée de manière à réunir des éléments permettant de répondre aux questions posées par le magistrat. Toutefois, tout en tenant compte de cet impératif, il conduit son expertise en appliquant les recommandations de l'article 12 et du premier Principe du Code

:

Article 12: Lorsque l'intervention se déroule dans un cadre de contrainte (…) le psychologue s'efforce de réunir les conditions d'une relation respectueuse de la dimension psychique du sujet.

Principe 1 : […] Il respecte le principe fondamental que nul n’est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même.

Concernant ce premier Principe du Code, il ne s’agit pas forcément d’un préambule à donner de vive voix à la personne qui vient consulter un psychologue, mais d’une manière de procéder qui soit respectueuse de ce Principe.

Le psychologue doit préalablement définir le cadre de son intervention et expliquer de manière précise et explicite aux personnes qui le consultent les objectifs, les modalités, les limites de son intervention. Le psychologue mentionne aussi le fait qu'il soit requis pour un rapport d'expertise destiné au juge, et précise les modalités de rédaction et de restitution. Cela permet ensuite aux personnes de consentir ou non à l’entretien proposé par le psychologue, en toute connaissance de ce qui peut être fait de sa parole. C'est ce qu'indique l’article 9 du Code :

Article 9 : Avant toute intervention, le psychologue s’assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l’obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions.

De même, la fin de l'article 17 précise:

Article 17: […] La transmission [des conclusions du psychologue] à un tiers requiert l'assentiment de l'intéressé ou une information préalable de celui-ci.

La rédaction d’un rapport d’expertise psychologique est une tâche délicate, dans le sens où le rapport tente de traduire des éléments subjectifs et intimes (la parole du sujet, son intimité psychique, ses relations avec des tiers (enfant, conjoint…) en un écrit qui se veut objectif et qui a vocation à être transmis à un représentant de la justice. Il convient donc pour le psychologue de faire preuve de prudence.

Principe 4: Rigueur: Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d'une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail.

Le psychologue a conscience de la relativité de ses évaluations et interprétations. Il doit donc être prudent dans l'élaboration de ses conclusions, et ce, d'autant plus que le rapport d'expertise psychologique est destiné à des personnes non spécialistes (en l'occurrence, le JAF). Ainsi le psychologue doit être clair et compréhensible dans ses propos, attentif aux termes techniques et aux formules utilisés. Ses limites tiennent autant aux outils utilisés pour l'évaluation, qu'au caractère variable et évolutif du comportement humain. Il ne doit donc pas émettre des conclusions qui soient à la fois réductrices de la complexité et de la singularité de la personne, et définitive concernant ses possibilités d'évolution.

Article 25: Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes.

Cette nécessaire prudence n'exclut pas la possibilité d'émettre un avis qui soit clair, argumenté et respectueux des personnes.

Enfin, l'article 17 du Code précise que lorsqu'un psychologue rédige un écrit qui est ensuite transmis à un tiers, comme en l'occurrence un rapport d'expertise psychologique transmis à un JAF, il convient de répondre aux questions posées par ce dernier, et de n'amener des éléments d'ordre psychologique, que si nécessaire.

Article 17: Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent des éléments d'ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire. [...]

2. Le « droit » et le code de déontologie

La question de l’articulation entre les éléments réglementaires ou législatifs des pratiques professionnelles des psychologues et ceux du Code est souvent posée. Il convient ici de rappeler que la CNCDP est une instance consultative qui émet des avis et, en conséquence, ne se prononce pas au regard de la loi qui s'impose aux citoyens. Eu égard aux questions que soulève la demandeuse en termes de « droit  à… », la Commission ne peut que les traduire par référence au Code. Cependant, celui-ci fait état et rappelle les principes de droit qui organisent notamment la profession et l’exercice de psychologue, comme dans les principes 1 et 3 et l’article 24 :

Principe 1 : Respect des droits de la personne : Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection […].

Principe 3 : Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle […].

Article 24 : Le psychologue recueille, traite, classe, archive, conserve les informations et les données afférentes à son activité selon les dispositions légales et réglementaires en vigueur […].

Il n’appartient donc pas à la Commission d’établir des arbitrages ou des jugements sur les situations amenées. Indépendamment, toute personne peut saisir la juridiction de son choix afin de faire reconnaître ce qu’elle estime être un préjudice, une infraction envers elle-même ou à des fins de protection des intérêts des individus en société.

  1. La possibilité d’une contre évaluation

Les éléments de l’expertise psychologique notés par la demandeuse tendent à montrer qu’elle en conteste les fondements psychologiques et les modalités de rédaction. S’il appartient au psychologue de choisir les modes d’intervention répondant aux motifs de ses interventions, conformément au principe de rigueur (principe 4), il lui incombe d’informer les personnes de leur droit à demander une contre évaluation. Il appartiendra ensuite à la personne concernée de la verser ou non à son dossier juridique.

Article 14 : Dans toutes les situations d'évaluation, quel que soit le demandeur, le psychologue informe les personnes concernées de leur droit à demander une contre évaluation.

Pour la CNCDP

La Présidente

Claire SILVESTRE-TOUSSAINT

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