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La Commission est interrogée à propos des pratiques professionnelles d'un psychologue qui a eu à rédiger deux attestations concernant les trois enfants mineurs d’une mère, dans un contexte de violences familiales. Cette mère, la demandeuse, a consulté le psychologue, par ailleurs expert près la cour d'appel, sur les conseils d'une psychologue hospitalière qui avait vu les enfants à plusieurs reprises, l'école ayant signalé « des troubles du comportement et une agitation » de deux d'entre eux. Au moment de la prise en charge, le père n’était plus au domicile conjugal, mais il recevait les enfants chez lui. Le psychologue, après deux entretiens avec les enfants seuls, a rédigé une première attestation à la demande de la mère. Cette attestation évoquait une attitude éducative du père « à la limite de la maltraitance physique et psychique », ce dont la psychologue hospitalière avait attesté également dans deux bilans d'évolution. Peu après, il prit contact avec le père, mais celui-ci ne se présenta pas au rendez-vous proposé. Le psychologue a alors adressé la mère vers une nouvelle collègue « plus spécialisée dans la prise en charge de ce genre de troubles » pour le suivi des enfants.

Près d'un an plus tard, quelques mois avant le divorce, le père amène ses enfants en consultation chez le même psychologue pour obtenir une nouvelle attestation. Lors de cette séance le psychologue rencontre d'abord le père, puis les enfants, puis le père et les enfants ensemble. Dans son contenu, l'attestation rédigée à cette occasion est sensiblement différente de celle remise à la mère un an plus tôt. Elle est beaucoup plus favorable au père, l'hypothèse de conduites maltraitantes en est notamment écartée.

Quelques mois après le divorce, deux courriers pour suspicion de mauvais traitements des enfants au domicile du père et signalement d'enfants en danger ont été adressés, l'un au Juge des Enfants par un médecin, l'autre au Procureur de la République par la psychologue qui suit les enfants.

La demandeuse estime que le psychologue a produit « une attestation de complaisance » au père et elle l'accuse de « non assistance à enfants en danger ». Elle estime également qu'il n'a pas respecté la règle du secret professionnel en révélant «...le contenu des consultations et des confidences que les enfants lui avaient faites pendant la séance dans l'attestation produite à la demande du père ». Enfin, elle interroge la Commission sur ce qu'elle désigne comme un « abus de pouvoir », le psychologue faisant figurer en en-tête de son courrier ses responsabilités professionnelles dans le domaine de l'expertise judiciaire.

C'est sur ces différents points que la demandeuse interroge la Commission.

Documents joints :

- Copie de la première attestation rédigée par le psychologue à l'intention de la mère,

- Copie de la deuxième attestation rédigée par le même psychologue à l'intention du père,

- Copie de trois dessins d'enfants effectués au cours des premiers entretiens et remis par le psychologue à la mère,

- Copie de deux comptes rendus d'évolution concernant les trois enfants, rédigés par la psychologue hospitalière,

- Copie d'un courrier de médecin adressé au Juge des Enfants,

- Copie d'un document informatif (sans références) traitant de l'enfance en danger,

- Copie d'un courrier de signalement d'enfants en danger adressé au Procureur de la République par la dernière psychologue s’occupant des enfants,

- Copie du courrier d'un des enfants adressé au Juge des Enfants.

 

Posté le 30-10-2014 00:25:12

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2013

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Intervention d’un psychologue
Précisions :
Entretien

Questions déontologiques associées :

- Abus de pouvoir
- Consentement éclairé
- Discernement
- Écrits psychologiques
- Mission
- Respect de la loi commune
- Responsabilité professionnelle
- Secret professionnel
- Transmission de données psychologiques (Compte rendu aux parents)
- Assistance à personne en péril

Au vu de la situation présentée et des interrogations du demandeur, la Commission se propose d’aborder les points suivants :

- L'identification du psychologue auteur d'une attestation et les risques de l'abus de pouvoir,

- Peut-on parler d'«attestation de complaisance » ?

- La protection de l'enfant et le secret professionnel dans les entretiens avec des enfants et dans les écrits les concernant.

    1. 1. L'identification du psychologue auteur d'une attestation et les risques de l'abus de pouvoir

Le Code recommande qu'une attestation rédigée par un psychologue soit présentée de telle façon que l'auteur du document puisse être identifié sans ambiguïté sur le plan professionnel, que le motif et le moment de son écrit soient précisés et qu'il en assume la responsabilité en le signant. Les informations correspondant à ces exigences sont présentées dans l'article 20 du Code.

Article 20 : Les documents émanant d'un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l'identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l'objet de son écrit et sa signature. Seul le psychologue auteur de ces documents est habilité à les modifier, les signer ou les annuler. Il refuse que ses comptes rendus soient transmis sans son accord explicite et fait respecter la confidentialité de son courrier postal ou électronique

Rien dans le Code n'interdit au psychologue, auteur d’une attestation, d'ajouter d'autres renseignements le concernant, destinés à mettre en valeur sa compétence à établir un tel document, par exemple sa spécialité dans le champ d'intervention concerné (toxicomanie, gérontologie, recrutement etc.). Mais d'autres informations, à finalité promotionnelle, comme un titre honorifique ou une responsabilité institutionnelle temporaire, éventuellement justifiées dans certains courriers du psychologue, ont-elles réellement leur place en tête d'une attestation ? Dans certains cas, ou pour certaines personnes, ces mentions peuvent être perçues comme destinées à "faire autorité" plus par le statut social de l'auteur du document que par sa compétence professionnelle, et à ce titre à influencer le jugement du destinataire. C'est apparemment dans ce sens que la demandeuse utilise l'expression "abus de pouvoir" à propos de la mention par le psychologue de sa qualité d’expert près la Cour d’appel, en en-tête de l'attestation. Mais sur le plan terminologique, ce sens est relativement éloigné de celui donné classiquement à l'abus de pouvoir, qui désigne le dépassement des limites légales d'une fonction. Il n'est pas non plus strictement assimilable à l'abus de position qui fait l'objet de l'article 15 du Code.

Article 15 : Le psychologue n'use pas de sa position à des fins personnelles, de prosélytisme ou d’aliénation économique, affective ou sexuelle d’autrui.

Dans cet article, c'est la position même de psychologue qui est envisagée comme une position de pouvoir et les abus évoqués sont ceux dont pourrait être victime la personne auprès de qui le psychologue intervient. On est assez éloigné de la situation évoquée ici dans laquelle la demandeuse craint que le psychologue exerce un pouvoir d’influence sur le juge, destinataire potentiel de l’attestation. On peut faire remarquer que l’attestation qu’elle a elle-même reçue a été rédigée sur le même papier à en-tête.

    1. 2. Peut-on parler d’ «attestation de complaisance» ?

La demandeuse considère que l'attestation remise au père des enfants, dédouanant ce dernier des présomptions de maltraitance dont le psychologue faisait état dans une précédente attestation, est assimilable à un certificat de complaisance. Rappelons que l'on parle de certificat ou d'attestation de complaisance accordé à une personne quand un professionnel, en connaissance de cause, produit un document permettant à cette personne de bénéficier d'un avantage auquel elle n'a pas droit en réalité. La demandeuse estime sans doute que l'attestation délivrée au père a permis à ce dernier de conserver un droit de visite et d'hébergement dont il n'aurait pas dû bénéficier si il avait été tenu compte des risques encourus par les enfants. C'est ce qui la conduit à l'accusation de complaisance.

Il n'est ni dans les moyens ni dans le rôle de la Commission de soutenir ou de contester l'accusation de la demandeuse à l'égard du psychologue. Tout juste peut-on poser la question suivante : n'aurait-il pas été préférable que le psychologue ne se mette pas dans la situation d'avoir à reconsidérer, en une seule séance et à la demande d'un parent l'avis qu'il avait formulé antérieurement à la demande de l'autre parent? Le Code n'évoque pas cette situation en particulier, mais il y est rappelé à plusieurs reprises que le psychologue n'a pas à accepter toutes les missions qu'on lui propose et que dans certains cas il ne doit pas hésiter à se récuser.

    1. 3. La protection de l'enfant et le secret professionnel dans les entretiens avec des enfants et dans les écrits les concernant.

La question du secret professionnel et celle de la protection de l'enfant étant liées dans la situation présentée, la Commission a choisi de les traiter conjointement. Elle n'a pas à se prononcer en l'état sur la question de non-assistance à enfants en danger évoquée par la demandeuse, mais dans la fin de cette partie, les éléments du code concernant la notion de protection seront cependant rappelés.

La demandeuse questionne la Commission sur la notion de secret professionnel à propos des éléments recueillis par le psychologue dans l'entretien avec les enfants et repris dans la dernière attestation. Concernant le secret professionnel, le Code de déontologie des psychologues évoque dès son principe 1 cette notion et la reprend dans son article 7 pour la préciser :

Principe 1 : Respect des droits de la personne

Il [Le psychologue] préserve la vie privée et l'intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel [...].

Article 7 : Les obligations concernant le respect du secret professionnel s'imposent quel que soit le cadre d'exercice.

Le Code n'évoque pas de dispositifs spécifiques concernant les entretiens avec des enfants à ce sujet. Cependant, le travail avec un enfant a ceci de particulier que celui-ci est en général amené chez le psychologue par un tiers, le plus souvent ses parents (ou l'un d'eux) qui en ont la responsabilité. Dans ce cas, le psychologue a tout d'abord à veiller à ce que le cadre et les objectifs de ses interventions auprès de l'enfant soient bien compris de celui-ci autant que de ses parents. Il veille également à s'assurer du consentement des parents et de l'enfant, une fois ce contexte explicité.

Article 11 : L'évaluation, l'observation ou le suivi au long cours auprès de mineurs ou de majeurs protégés proposés par le psychologue requièrent outre le consentement éclairé de la personne, ou au moins son assentiment, le consentement des détenteurs de l'autorité parentale ou des représentants légaux.

Article 9 : Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l'obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions.

Dans la situation traitée ici, on remarque que les propos des enfants retranscrits dans l'attestation portent pour l'essentiel sur un questionnement à propos du cadre et du contexte de l'entretien.

Le psychologue qui reçoit l'enfant aura ensuite à différencier, dans ce qu'il connaît de la vie personnelle et dans ce qu’il comprend de la vie psychique de celui-ci, ce qui relève du secret professionnel et ce qu'il peut être utile de transmettre au parent, qui a la responsabilité éducative de l'enfant. Un échange avec le parent se fera toujours avec le souci de l'intérêt supérieur de l'enfant, et avec la préoccupation de ce qui peut aussi être transmis à un tiers par le parent. Il ne comporte que très rarement des éléments bruts recueillis dans les entretiens et redonnés tels quels.

Dans la situation qui nous occupe ici, compte tenu du contexte de conflit entre les parents et des suspicions de maltraitance évoquées par le psychologue lui-même dans la première attestation, la prudence inscrite dans le principe 2 aurait dû guider la réflexion du psychologue :

Principe 2 : Compétence

[…] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il [le psychologue] fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité.

Dans le contexte décrit, la prudence et une réflexion accrue préalable à l'écrit d'une attestation s'imposaient. En effet, le psychologue a également une obligation de protection vis-à-vis des personnes qu'il reçoit, c'est vrai notamment s'agissant de patients mineurs, en référence aux législations concernant la protection de l'enfance :

Principe 1 : Respect des droits des personnes

Le psychologue réfère son exercice aux principes édictés par les législations nationale, européenne et internationale sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur liberté et de leur protection.

Article 19 : Le psychologue ne peut se prévaloir de sa fonction pour cautionner un acte illégal et son titre ne le dispense pas des obligations de la loi commune. Dans le cas de situations susceptibles de porter atteinte à l'intégrité psychique ou physique de la personne qui le consulte ou celle d'un tiers, le psychologue évalue avec discernement la conduite à tenir en tenant compte des dispositions légales en matière de secret professionnel et d'assistance à personne en péril [...]

Le contexte conflictuel entre les parents d'une part et les éléments familiaux dont le psychologue avait déjà connaissance d'autre part auraient dû le conduire à répondre à la demande du père avec prudence et discernement (Principe 2, déjà cité).

Pour la CNCDP

La Présidente

Claire Silvestre-Toussaint

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