Fil de navigation

RÉSUMÉ DE LA DEMANDE

La demande est formulée par une mère de trois enfants engagée dans une procédure de divorce. Elle interroge la Commission sur le respect de la déontologie dans le contenu d’un écrit rédigé par une psychologue à la demande du père à propos d’un des garçons.

Cette professionnelle a en effet reçu l’enfant durant quatre séances, sur une durée de trois mois, avant de produire un document intitulé « attestation compte-rendu du suivi psychologique ». Une cinquième séance, aux dires de la maman, a été honorée au cours du mois suivant alors qu’elle s’y était opposée.

La demandeuse reproche à cette psychologue de n’avoir été informée que très tardivement de la mise en place d’un travail. Elle conteste qu’il puisse être qualifié de « suivi au bout de 4 séances seulement ». Par ailleurs, elle discute le fait que la psychologue n’ait pas pris attache auprès des divers professionnels ayant connu ou connaissant la situation de son fils. De surcroît, selon elle, faute d’avoir été contactée par la professionnelle, la demandeuse n’a pu lui relater des faits relatifs à la conduite de son ex-mari, et se questionne aujourd’hui sur le caractère confidentiel des entretiens menés avec ses fils, les deux aînés ayant en effet été conviés par la psychologue à participer à la quatrième séance de « suivi ».

En somme, elle conteste la véracité de certaines informations contenues dans le document produit par cette psychologue et l’utilisation du « logo en bas de page qui correspondrait à l’Ordre National des Psychologues » qui, selon elle, serait « en cours de création ». De plus, elle demeure dubitative quant à sa supposée « distance professionnelle » à l’égard du père des enfants qui, lui, était présent aux rendez-vous proposés à leur fils.  

La demandeuse estime donc que le travail de cette psychologue est déontologiquement discutable. Elle souhaite savoir si, comme elle, la Commission estime que le Juge aux Affaires Familiales (JAF) pourrait conforter son avis avec une nouvelle expertise psychologique.

Documents joints :

- Copie d’un « Courrier confidentiel soumis à l’article 226-15 du Code Pénal » adressé par la demandeuse à la psychologue lui demandant de cesser de voir son fils en consultation

- Copie d’un document rédigé par la psychologue, intitulé « Attestation compte-rendu du suivi psychologique » et portant la trace d’un tampon l’identifiant comme « Pièce n°9 »

Posté le 19-01-2020 18:47:59

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2018

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Code de déontologie
Précisions :

Questions déontologiques associées :

- Compétence professionnelle (Analyse de l’implication personnelle du psychologue)
- Écrits psychologiques (Identification des écrits professionnels)
- Impartialité
- Mission (Distinction des missions)
- Respect du but assigné

AVIS 

AVERTISSEMENT : La CNCDP, instance consultative, rend ses avis à partir des informations portées à sa connaissance par le demandeur, et au vu de la situation qu’il décrit. La CNCDP n’a pas qualité pour vérifier, enquêter, interroger. Ses avis ne sont ni des arbitrages ni des jugements : ils visent à éclairer les pratiques en regard du cadre déontologique que les psychologues se sont donné.

Les avis sont rendus par l'ensemble de la commission après étude approfondie du dossier par deux rapporteurs et débat en séance plénière.

 

La Commission se propose de traiter des points suivants :

  • Modalités d’intervention du psychologue auprès d’un enfant mineur dans un contexte de séparation parentale : autorisation, consentement et but assigné
  • Forme et contenu des écrits du psychologue

1 - Modalités d’intervention du psychologue auprès d’un enfant mineur dans un contexte de séparation parentale : autorisation, consentement et but assigné

Les interventions d’un psychologue auprès d’enfants mineurs sont encadrées par plusieurs principes et articles du code de déontologie. Ainsi, l’article 11 rappelle d’une part la nécessité de recueillir l’accord de l’enfant, mais également le consentement des détenteurs de l’autorité parentale.

Article 11 : « L’évaluation, l’observation, ou le suivi au long cours auprès de mineurs ou de majeurs protégés proposées par le psychologue requièrent outre le consentement éclairé de la personne, ou au moins son assentiment, le consentement des détenteurs de l’autorité parentale ou des représentants légaux. »

Cette recommandation, fondamentale, inscrite dès le premier Principe du code de déontologie, se précise dans l’article 9 :

Principe 1 : Respect des droits de la personne

« Le psychologue […] n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées…Il respecte le principe fondamental que nul n’est tenu à révéler quoi que ce soit sur lui-même »

Article 9 : « Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairé de ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l’obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions. »

Dans la situation présente, la mère n’a pas été tenue informée de la démarche du père dont le fils souhaitait, selon les dires de la professionnelle, « changer de psychologue ». Par ailleurs, cette dernière ne l’a pas rencontrée malgré sa demande. Elle n’a pas non plus, selon la mère, cessé les entretiens avec l’enfant alors qu’elle l’avait explicitement exigé.

Le psychologue doit veiller à instaurer une relation respectueuse avec les enfants reçus en consultation. Ce respect doit concerner à la fois la vie psychique et la reconnaissance des besoins de l'enfant, mais aussi la manière dont est considéré chacun des parents. Ceci est rappelé dès le Préambule du Code ainsi que dans le Principe 1 déjà cité.

Préambule :

« Le respect de la personne dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l'action des psychologues ».

La non-observance de ces principes fait courir au psychologue le risque d'être pris dans des conflits parentaux et de n’être pas en mesure de savoir en protéger les enfants qu'il reçoit. Dans une situation de séparation familiale en particulier, le psychologue doit être des plus vigilants quant aux demandes adressées par un seul des parents. L'analyse du contexte relationnel dans lequel se trouvent les enfants est indispensable et suppose prudence et discernement comme indiqué dans le Principe 2 du Code. Le psychologue doit être également attentif à la façon dont les enfants perçoivent ses interventions, surtout quand la relation entre les parents est conflictuelle :

Principe 2 : Compétence

« […] Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité ».

Les éléments portés à la connaissance de la Commission invitent à penser que la psychologue a pris position en faveur du père dans le conflit concernant les deux parents. Elle a, de ce fait, engagé sa responsabilité et grevé sa crédibilité sans prendre appui sur le Principe 3 du Code :

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« Outre ses responsabilités civiles et pénales, le psychologue a une responsabilité professionnelle. … Il peut remplir différentes missions et fonctions : il est de sa responsabilité de les distinguer et de les faire distinguer. »

Il aurait été souhaitable que cette professionnelle s’entretienne directement avec la demandeuse avant de prendre position, dans l’intérêt des enfants et en accordant un traitement équitable aux deux parents. De même, la psychologue aurait pu prendre contact avec les autres professionnels prenant ou ayant pris en charge l’enfant, de façon à préciser le cadre de son intervention comme l’y invite l’article 31 du Code :

Article 31 : « Lorsque plusieurs psychologues interviennent dans un même lieu professionnel ou auprès de la même personne, ils se concertent pour préciser le cadre et l'articulation de leurs interventions ».

Par ailleurs, le psychologue est tenu de respecter un principe de cohérence entre le dispositif mis en place et le motif initial de sa mission. Dans les documents qui lui ont été adressés, la Commission a eu des difficultés à retrouver le but initial de l’intervention : était-ce de travailler sur les difficultés rencontrées par les enfants avec leur mère, de répondre au souhait de l’enfant de « changer de psychologue », ou encore de « l’aider dans son quotidien » ? Le Principe 6 du Code précise que le psychologue ne saurait détourner un cadre d’intervention à d’autres fins que celles dans lesquelles il s’était engagé, sans avoir précisé les nouvelles modalités auprès de son patient et auprès des parents :

Principe 6 : Respect du but assigné

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement. En construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue prend notamment en considération les utilisations qui pourraient en être faites par des tiers ».

La mère s’est vue écartée de toute rencontre avec la psychologue, sans semble-t-il aucune communication, malgré ses différents courriers et prises de contact. Au regard du Principe 4 du code de déontologie, il aurait été souhaitable et certainement possible de la recevoir pour lui expliquer la spécificité du cadre de la prise en charge en cours :

Principe 4 : Rigueur

« Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail ».

 

  1. Forme et contenu des écrits du psychologue

Un écrit produit par un psychologue n’est pas qu’un simple document rédigé par un professionnel, il est aussi porteur de potentiels effets et conséquences auprès des personnes mentionnées et aussi de ses destinataires. Les mots ont un poids et, en ce sens, un écrit faisant trace, la question se pose toujours du but et des destinataires de celui-ci, ce que synthétise le Principe 6 déjà énoncé plus haut. 

Dans la situation présente, il est à remarquer que le document proposé ne mentionne pas d’objectifs spécifiques, si ce n’est à travers son titre « attestation compte-rendu du suivi psychologique ». La Commission a estimé qu’il était difficile de savoir avec précision à quelles fins répondait la production d’un tel écrit.

Toutefois, il est à relever que cette professionnelle n’a en rien contrevenu aux attentes posées par l’article 20 auquel tout psychologue doit se soumettre au moment de la rédaction d’un écrit :

Article 20 : « Les documents émanant d’un psychologue sont datés, portent son nom, son numéro ADELI, l’identification de sa fonction, ses coordonnées professionnelles, l’objet de son écrit et sa signature… »

Ici, apparaissent bien l’identité de la professionnelle, les deux compétences « psychologue clinicienne et de psychothérapeute », l’adresse du lieu où elle exerce, son numéro ADELI, l’ensemble de ces informations encadrant un écrit daté et signé.

Le document pour lequel la Commission doit apporter un avis se présente donc sous la forme d’un écrit rédigé à la demande du père des trois enfants, par une psychologue ayant reçu ceux-ci au cours de quatre séances de travail. C’est en ce sens que la demandeuse exprime son étonnement à la lecture de son contenu et pose la question de savoir si la professionnelle avait le droit de produire un tel document sans que la justice ne l’ait requis. Le Principe 3 cité ci-dessus répond positivement à cette question :

Principe 3 : Responsabilité et autonomie

« […] Dans le cadre de sa compétence professionnelle, le psychologue décide et répond personnellement du choix et de l'application des méthodes et techniques qu'il conçoit et met en œuvre et des avis qu’il formule… »

L’ambiguïté de la démarche réside dans l’intitulé, donc la nature d’une telle production, et non dans le caractère licite ou pas. En effet, une attestation a pour objectif de dire qu’un patient a été reçu une ou plusieurs fois, que le suivi continue ou non. Cette attestation est toujours remise en main propre à la personne qui la demande et porte généralement la mention : « pour faire valoir ce que de droit ».

Par ailleurs, quand un psychologue reçoit un des membres d’un couple parental et qu’il accepte de rédiger un document à la demande de celui-ci, il doit veiller à la rigueur de sa rédaction et prendre en considération la diffusion potentielle de son texte comme le rappelle l’article 17 :

Article 17 : « Lorsque les conclusions du psychologue sont transmises à un tiers, elles répondent avec prudence à la question posée et ne comportent les éléments d’ordre psychologique qui les fondent que si nécessaire ».

Or le contenu de l’écrit soumis à la Commission dépasse le simple cadre d’une attestation, les propos semblant manifestement vouloir faire état des hypothèses, interprétations et conclusions au sujet des enfants du couple. Il est même possible de se demander jusqu’à quel point le document rédigé pourrait être exploité ou vouloir être exploité comme une expertise psychologique. En cela, il ne correspond pas à l’esprit de l’article 16 pour lequel :

Article 16 : « Le psychologue présente ses conclusions de façon claire et compréhensible aux intéressés. »

Dans la situation présente, les deux parents n’ont pas été les destinataires conjoints de cet écrit relatif à la dynamique familiale ou, tout au moins, de l’état des trois enfants. Le but assigné à l’intervention reste confus et combine différents types d’écrits. Ceci ne coïncide pas avec l’impératif de rigueur énoncé par l’article 25 du Code dont doivent faire preuve les psychologues en toutes circonstances, en particulier dans celle de production d’un écrit :

Article 25 : « Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes ».

La psychologue aurait en outre pu informer du droit à demander une contre-évaluation comme l’indique l’article 14 :

Article 14 : « Dans toutes les situations d'évaluation, quel que soit le demandeur, le psychologue informe les personnes concernées de leur droit à demander une contre évaluation ».

Enfin, la Commission souhaite rappeler que l’exercice de la psychologie vaut pour tout praticien détenteur du titre et l’invite à questionner sa propre pratique, comme le propose l’article 23 :

Article 23 : La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques employées. Elle est indissociable d'une appréciation critique et d’une mise en perspective théorique de ces techniques.

Elle signale par ailleurs qu’aucun ordre des psychologues n’est à ce jour en cours de création.

Pour la CNCDP

La Présidente

Mélanie GAUCHÉ

La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur.

Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité.

Télécharger l'avis

Avis_18-20.pdf

Recherche