RÉSUMÉ DE LA DEMANDE

Dans le cadre d’un litige prud’homal, une association œuvrant dans le champ de l’autisme est opposée à l’un de ses directeurs d’établissement. En effet, l’association conteste la légitimité du licenciement d’une employée par le directeur. Celui-ci a produit au cours de la procédure prud’homale l’écrit d’une psychologue, également employée par l’association.

La demande est portée par un cabinet d’avocats auquel l’association a confié ses intérêts. Celui-ci met en cause une attestation et trois comptes rendus rédigés par la psychologue. Le cabinet d’avocat juge que les documents produits ne respectent pas plusieurs dispositions du Code et demande son avis à la Commission. En particulier, le cabinet relève la violation du secret professionnel et met également en cause un manque d’impartialité et de neutralité mais aussi de mesure, discernement et prudence. Il appuie son argumentation sur des articles du Code et des avis de la Commission, relevant du code de déontologie de 2012.

Documents joints :

- Copie d’un document rédigé par une psychologue et intitulé « attestation direction/ M. [le directeur d’établissement] »

- Copies de trois comptes rendus de notes personnelles issues de séances d’analyse de la pratique réalisées par la psychologue

- Copies des avis 17-17, 18-07 et 19-22 rédigés par la Commission

Posté le 07-04-2024 17:05:27

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2022

Demandeur :
Professionnel Non Pyschologue (Avocat)

Contexte :
Relations/conflit avec la hiérarchie, l’employeur, les responsables administratifs

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Attestation

Questions déontologiques associées :

- Confidentialité (Confidentialité du courrier professionnel )
- Discernement
- Écrits psychologiques (Identification des écrits professionnels)
- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Impartialité
- Responsabilité professionnelle
- Secret professionnel (Notes personnelles)

La Commission se propose de traiter du point suivant :

  • Écrit du psychologue dans le cadre d’un conflit prud’homal

 

Écrit du psychologue dans le cadre d’un conflit prud’homal

Le psychologue peut être amené à exercer des missions diverses au cours de son exercice professionnel comme l’indique l’article 3 du code de déontologie. Lorsque tel est le cas, il peut s’appuyer sur le Principe 5 du Code pour élaborer son cadre d’intervention :

Principe 5 : Responsabilité et autonomie professionnelle 

« Dans le cadre de sa compétence professionnelle et de la nature de ses fonctions, la·le psychologue est responsable, en toute autonomie, du choix et de l'application de ses modes d’intervention, des méthodes ou techniques qu'elle·il conçoit et met en oeuvre, ainsi que des avis qu’elle·il formule. Elle·il défend la nécessité de cette autonomie professionnelle inhérente à l’exercice de sa profession notamment auprès des usagers, employeurs ou donneurs d’ordre. Au préalable et jusqu’au terme de la réalisation de ses missions, elle·il est attentif·ve à l’adéquation entre celles-ci et ses compétences professionnelles. Elle·il peut exercer différentes missions et fonctions. Il est de sa responsabilité de les distinguer et de faire distinguer leur cadre respectif. »

Article 3 : « Ses champs d’intervention, en situation individuelle, groupale ou institutionnelle, relèvent d’une diversité de missions telles que : la prévention, l’évaluation, le diagnostic, l’expertise, le soin, la psychothérapie, l’accompagnement psychologique, le conseil, l’orientation, l’analyse du travail, le travail institutionnel, la recherche, l’enseignement de la psychologie, la formation. »

 

Dans la situation présentée à la Commission, la psychologue a exercé ses fonctions au titre de l’analyse de la pratique auprès des équipes placées sous l’autorité du directeur. Elle a également été sollicitée au titre de séances de régulation d’équipe afin de dénouer des conflits entre les professionnels.

Si la psychologue présente ces deux missions de manière distincte dans son attestation, il semble que, à l’écrit, le but poursuivi par la professionnelle ne concerne pas uniquement la description de ses missions au sein de l’association.

Dans l’exercice de ses fonctions, le psychologue peut être amené à rédiger des écrits. Dans ce cas, il tient compte des utilisations qui peuvent en être faites par des tiers. Le Principe 3 rappelle cette précaution d’usage :

Principe 3 : Intégrité et probité 

« En toutes circonstances, la·le psychologue respecte les principes éthiques, les valeurs d’intégrité et de probité inhérents à l’exercice de sa profession. Elle·il a pour obligation de ne pas exploiter une relation professionnelle à des fins personnelles, religieuses, sectaires, politiques, ou en vue de tout autre intérêt idéologique. Elle·il prend en considération les utilisations qui pourraient être faites de ses interventions et de ses écrits par des tiers ».

 

Ainsi, la mention « pour servir et faire valoir ce que de droit » apparaissant à la fin du document laisse à penser que la psychologue n’ignorait pas l’utilisation qui pouvait être faite de son écrit au cours d’une procédure.

Or, celui-ci comporte six pages et est annexé de notes personnelles issues de trois séances d’analyse de la pratique, portant le document à dix-sept pages. La longueur et l’exhaustivité de cette « attestation » ne manquent pas d’interpeller la Commission.

En effet, les notes personnelles rédigées par la psychologue constituent la trace d’une réflexion et d’une analyse d’équipe dans le cadre d’un dispositif institutionnel. L’issue de ces documents reste donc liée à l’analyse de la pratique de l’équipe. Leur transmission en vue d’être utilisées dans une procédure constitue ainsi un détournement de l’objectif fixé par la psychologue en les rédigeant. Dans ce sens, elle ne suit les recommandations du Principe 6, pas plus que de l’article 23 :

Principe 6 : Rigueur et respect du cadre d’intervention

« Les dispositifs méthodologiques mis en place par la·le psychologue répondent aux objectifs de ses interventions, et à eux seulement. Les modes d'intervention choisis et construits par la·le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et adaptée à son interlocuteur, ou d’une argumentation contradictoire avec ses pairs de leurs fondements théoriques et méthodologiques. »

Article 23 : « La·le psychologue recueille, traite, classe et archive ses notes personnelles et les données afférentes à son activité de manière à préserver la vie privée des personnes en garantissant le respect du secret professionnel. Lorsque ces données sont utilisées à des fins de publication ou de communication, elles sont impérativement traitées dans le respect absolu de l’anonymat ».

 

La communication de notes personnelles issues de séances d’analyse de la pratique apparaît comme une divulgation d’informations inutile à la compréhension de la situation du directeur. Il aurait été préférable que la psychologue préserve le secret de ces informations et l’anonymat des personnes concernées. La rédaction d’écrits par le psychologue implique également le respect du secret professionnel auquel il est tenu au cours de son exercice, ce que déclinent sous différents aspects le Principe 2, ainsi que les articles 7 et 8 :

Principe 2 : Respect de la vie privée, du secret professionnel, de la confidentialité 

« La·le psychologue est soumis·e à une obligation de discrétion. Elle·il s’astreint au secret professionnel et à la confidentialité qui doivent être garantis dans ses conditions d’exercice. En toutes circonstances, elle·il en informe les personnes concernées et recherche leur consentement éclairé. Elle·il respecte le principe fondamental que nul ne peut être contraint de révéler quoi que ce soit sur lui-même ».

Article 7 : « La·le psychologue est tenu au secret professionnel dans les conditions et les limites des dispositions du code pénal (articles 226-13 et 226-14). Le secret professionnel couvre tout ce dont la·le psychologue a connaissance dans l’exercice de sa profession : ce qui lui est confié comme ce qu’elle·il voit, entend ou comprend ».

Article 8 : « Dans tout échange entre professionnels ayant pour objet l'examen de personnes ou de situations, la·le psychologue partage uniquement les informations strictement nécessaires à la finalité professionnelle, conformément aux dispositions légales en vigueur. En tenant compte du contexte, elle·il s’efforce d’informer au préalable les personnes concernées de sa participation à ces échanges ».

 

La tonalité de cet écrit qui va au-delà de ce qu’on peut attendre d’une attestation, conduit à l’assimiler à un témoignage, la psychologue partageant une opinion personnelle sur la dynamique et l’organisation de l’établissement. Le document rend compte de façon positive du management du directeur mais également de ses relations tant avec le personnel qu’avec les résidents et leurs familles. La position partiale de la psychologue en faveur du directeur est en contradiction avec la mission exercée auprès des équipes et contrevient à l’article 5 :

Article 5 : « En toutes circonstances, la·le psychologue fait preuve de mesure, de discernement et d’impartialité. La·le psychologue accepte les missions qu'elle·il estime compatibles avec ses fonctions et ses compétences dans le respect du présent Code. Si elle·il l’estime utile, elle·il peut orienter les personnes ou faire appel à d’autres professionnels ».

De plus, les appréciations de la psychologue tendent à qualifier de manière catégorique les attitudes et les comportements qu’elle a pu observer dans l’exercice de ses fonctions. La psychologue aurait pu prendre appui sur les articles 13 et 22 pour éviter cet écueil :

Article 13 : « L’évaluation relative aux personnes ne peut se réaliser que si la·le psychologue les a elle·lui-même rencontrées.

La·le psychologue peut s’autoriser à donner un avis prudent et circonstancié dans certaines situations, sans que celui-ci ait valeur d’évaluation ».

Article 22 : « La·le psychologue est averti·e du caractère relatif de ses évaluations et interprétations et elle·il prend en compte les processus évolutifs de la personne. Elle·il émet des conclusions contextualisées et non réductrices concernant les ressources psychologiques et psychosociales des individus ou des groupes ».

 

Enfin, sur le plan formel, le psychologue est invité à suivre les préconisations du Code relatives aux mentions nécessaires à tout écrit professionnel, tel que le rappelle l’article 18 :

Article 18 : « Les documents émanant d'un·e psychologue sont datés, portent son identité, son titre, son numéro d’inscription sur les registres légaux en vigueur, ses coordonnées professionnelles, sa signature ainsi que la·le destinataire et l'objet de son écrit. Seul la·le psychologue auteur·e de ces documents est habilité·e à les signer, les modifier, ou les annuler. Elle·il fait respecter la confidentialité de son courrier postal ou électronique ».

 

Ainsi, outre l’absence du numéro Adéli, l’écrit de la psychologue met en évidence une formulation imprécise de ses coordonnées professionnelles et du destinataire du document.

Dans un souci de rigueur et d’impartialité, il aurait été important que la psychologue s’appuie davantage sur le code de déontologie dans la rédaction de son écrit.

 

Pour la CNCDP

Le Président

Antony CHAUFTON

La CNCDP a été installée le 21 juin 1997 par les organisations professionnelles et syndicales de psychologues. Ses membres, parrainés par les associations de psychologues, siègent à titre individuel, ils travaillent bénévolement en toute indépendance et sont soumis à un devoir de réserve. La CNCDP siège à huis clos et respecte des règles strictes de confidentialité. Les avis rendus anonymes sont publiés sur les sites des organisations professionnelles avec l’accord du demandeur.

Toute utilisation des avis de la CNCDP par les demandeurs se fait sous leur entière responsabilité.

Télécharger l'avis

Avis-22-28-version-finale.pdf

Recherche