La demandeuse sollicite la CNCDP à propos de l’interruption de son suivi psychologique au sein d’une association. Elle a été suivie par un psychologue durant 6 ans, en présentiel durant les trois premières années, puis par téléphone après son déménagement.
Après trois ans de suivi à distance, les rendez-vous téléphoniques devenaient difficiles : le psychologue « n’était plus disponible aux horaires où [elle] l’était et [lui] proposait des rendez-vous à des heures où il [la] savait indisponible ». Finalement, le psychologue a complètement cessé le suivi « sans discussion préalable concernant cet arrêt, sans préavis et sans explication » et a refusé « de s’expliquer sur les conditions d’interruption de la psychothérapie ».
La direction de l’association et l’Agence régionale de santé ont indiqué à la demandeuse que l’association était agréée uniquement pour des entretiens en présentiel, que les entretiens téléphoniques n’étaient pas considérés comme un suivi mais comme une « relation personnelle » et que le psychologue a « cessé [le suivi de la demandeuse] après plusieurs rappels à l’ordre de la part de sa hiérarchie ».
La demandeuse s’interroge alors sur la pratique des entretiens téléphoniques avec le psychologue. Elle s’étonne également qu’un « psychologue interrompe une psychothérapie de manière aussi brutale et violente ». Enfin, elle indique que le psychologue et la direction de l’association lui ont transmis les coordonnées de centres, situés à proximité de son nouveau lieu d’habitation, susceptibles de pouvoir la prendre en charge.
La demandeuse questionne la CNCDP au sujet des points évoqués ci dessus :
Les consultations téléphoniques n’entraient pas dans le cadre des missions du psychologue, mais elles ont « tout de même duré trois ans sans que cela ne semble poser problème »,
L’interruption précipitée du suivi est-elle conforme à la déontologie ? Comment un psychologue doit-il arrêter une psychothérapie et « doit-il en particulier proposer un délai à son patient »?
La transmission des coordonnées d’autres structures constitue-t-elle un accompagnement suffisant dans l'arrêt d’une psychothérapie ?
Année de la demande : 2013 Demandeur : Contexte : Objet de la demande : Questions déontologiques associées : - Accès libre au psychologue
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Compte tenu des éléments évoqués par la demandeuse, la CNCDP traitera les points suivant : - Les conditions et limites déontologiques d'un suivi psychologique par téléphone, - L'arrêt des entretiens dans le cadre d'un suivi psychologique.
Dans la dernière partie de l'article 3 du code de déontologie, il est affirmé au sujet du psychologue que « son principal outil est l'entretien ». De quel type d'entretien s'agit-il ? Il n'est précisé à aucun endroit dans le code que l'entretien téléphonique contrevient à la déontologie. Néanmoins, l'article 27 du code de déontologie souligne l’importance de la rencontre : Article 27 : Le psychologue privilégie la rencontre effective sur toute autre forme de communication à distance et ce quelle que soit la technologie de communication employée. Le psychologue utilisant différents moyens télématiques (téléphone, ordinateur, messagerie instantanée, cybercaméra) et du fait de la nature virtuelle de la communication, explique la nature et les conditions de ses interventions, sa spécificité de psychologue et ses limites. La pratique des consultations par téléphone, ne favorisant pas la « rencontre effective », ne s'inscrit généralement pas sur du long terme. Un entretien psychologique à distance peut s'expliquer dans le cas où la personne est empêchée de se rendre sur les lieux de consultations, ou bien pour ce que l'on qualifie habituellement d'actes ponctuels, par exemple un besoin de conseil, d'information ou de soutien momentané relatif à une situation difficile, un événement douloureux, comme c'est le cas dans des services ou associations d'aide par téléphone. On peut aussi utiliser l'entretien téléphonique pour des messages de prévention et comme un passage de relais, sorte de passerelle vers une autre forme de suivi psychologique qui privilégierait la rencontre effective. En d'autres termes, le dispositif d'entretien par téléphone ne permet pas de suivi au long cours comme dans le cadre d'un travail en face à face. Du fait de l'absence physique de l'interlocuteur, et aussi de l'absence d'un lieu professionnel commun, cette question des limites de l'intervention téléphonique, qui s'appuie essentiellement sur la communication verbale, est importante. En effet, le discours diffère de celui émis lors des entretiens en présentiel. Les attitudes du psychologue et celles de l'appelant, qui peut interrompre à tout moment l'entretien, diffèrent également du fait de l'absence de présence physique. Dans un contexte d'entretiens psychologiques par téléphone, le psychologue doit nuancer ses propos, agir avec prudence, et être conscient du cadre et des limites de ce type d'intervention. Ce cadre particulier doit être expliqué à la personne, qui lorsqu'elle est suffisamment informée des modalités de l'intervention peut ou non en accepter le déroulement. Le psychologue doit préciser à la personne qui le consulte la manière dont il procède, c'est ce qui est défini dans le principe 4 du code de déontologie, intitulé « Rigueur » : Principe 4 : Rigueur Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explicitation raisonnée et d’une argumentation contradictoire de leurs fondements théoriques et de leur construction. Le psychologue est conscient des nécessaires limites de son travail. A noter que le champ des entretiens téléphoniques est encore peu théorisé et réglementé, ce qui invite le psychologue à faire preuve d'esprit critique et à être d'autant plus prudent : Article 23 : La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques employées. Elle est indissociable d'une appréciation critique et d’une mise en perspective théorique de ces techniques. Cela incite le psychologue dans tous les cas, c'est-à-dire pour toutes ses missions, à user de réflexion éthique, gage de responsabilité professionnelle et de compétence.
La question de l’arrêt d’un suivi psychologique se pose sous deux angles : pour quelle décision le suivi est-il arrêté et de quelle manière s’interrompt-il ? Concernant les causes de l’arrêt du suivi, elles peuvent être diverses : le suivi psychologique est terminé, le patient souhaite arrêter, le patient déménage, le psychologue prend sa retraite ou change de lieu et de structure d’exercice etc. Dans la situation présentée, le déménagement de la demandeuse n’a pas stoppé le suivi thérapeutique : un système palliatif via des consultations téléphoniques a permis de poursuivre le travail durant plusieurs années. Après trois années d'entretiens téléphoniques, menés dans l'institution au sein de laquelle la prise en charge a débuté, le suivi s’est arrêté sur les ordres de la hiérarchie du psychologue. L’indépendance et l’autonomie de ce dernier sont donc à questionner dans ce cas d'exercice institutionnel, car c’est généralement au psychologue de définir lui-même les modalités de ses interventions, y compris leurs limites, comme le rappelle le principe 2 du Code : Principe 2 : Compétence […] Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières. Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu'il sait ne pas avoir les compétences requises. Quel que soit le contexte de son intervention et les éventuelles pressions subies, il fait preuve de prudence, mesure, discernement et impartialité. Même si la direction d'une institution définit un certain nombre de missions pour le psychologue, c’està celui-ci de définir de quelle manière il peut les réaliser. Aussi passer d'un suivi en face à face à un suivi téléphonique n'empêche pas l'exercice professionnel du psychologue. Quel que soit le cadre d'exercice, l’arrêt d’un suivi psychologiquedépend conjointement du patient (ou de son représentant légal), du psychologue, et des missions de l'institution. Il doit pouvoir être préparé de manière à ce que la fin de la relation thérapeutique se passe de la meilleure façon possible suivant le contexte, dans le respect de la dimension psychique de la personne. Concernant les modalités de l'interruption du suivi, elles doivent être évoquées dès les premières rencontres où le psychologue explique à la personne la manière dont la prise en charge va se dérouler, y compris comment se décide la fin du suivi, comme l’évoque l’article 9 du Code : Article 9 : Il [le psychologue] a donc l’obligation de les [ceux qui le consultent] informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention ,[...] Toutefois, il arrive que le suivi soit interrompu sans pouvoir respecter ce qui était prévu dans le déroulement de la prise en charge, notamment lorsque le patient déménage par exemple. Dans ce cas et afin de permettre la continuité de la prise en charge, l’article 22 du Code préconise que le psychologue cherche une solution à proposer à son patient, comme l’orienter vers un confrère par exemple : Article 22 : Dans le cas où le psychologue est empêché ou prévoit d'interrompre son activité, il prend, avec l'accord des personnes concernées, les mesures appropriées pour que la continuité de son action professionnelle puisse être assurée. En conclusion, il paraît contraire au code de déontologie d’interrompre un suivi psychologique sans prévoir avec le patient un moyen pour que le travail débuté puisse se poursuivre si nécessaire. Pour cela, le psychologue peut orienter le patient vers un confrère ou une institution susceptible de le prendre en charge. Pour la CNCDP La Présidente Claire Silvestre-Toussaint |