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Dans une affaire de garde d’enfant suite à une demande de divorce, une mère conteste le rapport établi par un psychologue sur ordonnance d’un juge aux affaires familiales. Elle estime ce rapport « totalement partial, faux et dangereux » et sollicite l’avis de la CNCDP.

Pièces jointes :

  • Copie du rapport du psychologue, dont le nom a été effacé.
    A noter que :
    • Le document est intitulé « enquête psychologique »
    • Le libellé des missions ne correspond pas à des missions de psychologue.
    • La mention de la profession de l’enquêteur se trouve seulement en dessous de sa signature (« psychologue clinicien »).

 

-Copie d’un tapuscrit de 6 pages intitulé « Commentaires sur l’enquête et le rapport de M. XX, psychologue.

Posté le 30-11-2010 16:45:00

Avis et classification CNCDP

Année de la demande : 2006

Demandeur :
Particulier (Parent)

Contexte :
Procédure judiciaire entre parents

Objet de la demande :
Écrit d’un psychologue
Précisions :
Rapport d’enquête

Questions déontologiques associées :

- Évaluation (Relativité des évaluations)
- Évaluation (Droit à contre-évaluation)
- Traitement équitable des parties
- Compétence professionnelle (Formation (formation initiale, continue, spécialisation))
- Mission (Compatibilité des missions avec la fonction, la compétence, le Code de déontologie, dans un contexte professionnel donné)

Il n’entre pas dans les missions de la CNCDP d’évaluer la pertinence des conclusions rédigées par un psychologue. La CNCDP a pour mission de rappeler les principes déontologiques qui régissent l’exercice professionnel de la psychologie en rapport avec le cadre d’intervention de la situation rapportée par les demandeurs.

En conséquence, la Commission traitera des questions suivantes :
1/ le caractère relatif de toute évaluation psychologique et la possibilité de demander une contre-évaluation
2/ le traitement équitable des parties
3/ l’ambiguïté des missions
4/ le discernement

Caractère relatif de toute évaluation psychologique et possibilité de demander une contre-évaluation

 

Dans tous les cas où une personne conteste les conclusions d’une évaluation psychologique, y compris celles produites dans le cadre d’une expertise judiciaire, le recours légitime est de demander une contre-évaluation, qui est affirmée comme un droit à l’article 19 du Code de Déontologie :
Article 19. « (…) Dans toutes les situations d'évaluation, quel que soit le demandeur, le psychologue rappelle aux personnes concernées leur droit à demander une contre-évaluation. »
En effet, toute évaluation ayant un caractère relatif, le code de déontologie des psychologues en fait l’un des principes directeurs de leur exercice professionnel :
Titre I, 5. Qualité scientifique. (…) Toute évaluation ou tout résultat doit pouvoir faire l'objet d'un débat contradictoire des professionnels entre eux.
Partant de ce principe, le psychologue s’abstient de tirer des conclusions définitives, comme l’ établit l’article 19 :
Article 19 - Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives sur les aptitudes ou la personnalité des individus, notamment lorsque ces conclusions peuvent avoir une influence directe sur leur existence.

 Traitement équitable de chaque partie, dans le cadre d’une expertise

 

Comme le stipule la dernière phrase de l’article 9, le psychologue est tenu d’être impartial, c'est-à-dire qu’il ne doit pas prendre parti :
Article 9. -« (…) Dans les situations d'expertise judiciaire, le psychologue traite de façon équitable avec chacune des parties (…). »

Le psychologue sait en effet qu’un conflit n’est pas à sens unique et sa formation lui permet de repérer les stratégies défensives de chacun, ce qui, dans les cas de désaccords parentaux pour la garde des enfants, consiste le plus souvent pour chaque parent à discréditer l’ex-conjoint.

Ambiguïté du mandat confié à la psychologue dans la situation présente

 

1/ Ambiguïté de l’intitulé : « enquête psychologique » :

Une enquête, fût-elle « psychologique », n’est ni une évaluation ni un examen psychologique. Dans le cadre d’une procédure judiciaire, le juge peut ordonner une enquête de personnalité, ou une enquête sociale, qui sont bien distinctes de l’expertise psychologique. L’enquête consiste à recueillir des informations sur la moralité et les conditions de vie des intéressés, parfois sur leur personnalité. Il semblerait que les personnes qui réalisent ces enquêtes ne soient pas tenues d’avoir une formation particulière.
Contrairement à l’enquête, une expertise psychologique ne peut être confiée qu’à un psychologue en titre et elle comporte des missions d’évaluation et d’interprétation qui ne sont aucunement assimilables à une enquête.
La demande du JAF (juge aux affaires familiales) est en l’occurrence très ambiguë puisqu’il semble avoir ordonné une « enquête psychologique » : il s’agit donc bien d’une enquête et non d’un examen psychologique à proprement parler, mais le choix du terme « psychologique » risque d’introduire une autre dimension.
Face à de telles demandes, le ψ se trouve dans une situation paradoxale : le juge l’a-t-il désigné en sa qualité de psychologue, ou d’enquêteur ?

2/ Ambiguïté de l’identification du psychologue

L’ambiguïté de la demande du juge se retrouve dans la réponse du psychologue dans la mesure où la formule de présentation du signataire du rapport ne mentionne pas sa qualité de psychologue (à moins que cette mention n’ait été effacée avec le nom) mais apparaît à la suite de la signature sous forme « psychologue clinicien ».

3/ Ambiguïté du libellé des missions

Les missions se situent dans différents registres :
- Certaines se situent clairement dans le registre de l’enquête : « rapporter tous renseignements sur les garanties présentées sur les plans : (…) moral, éducatif et matériel par le père et la mère ainsi que le cas échéant de leurs parents ou des personnes qui partagent leur existence ».
- D'autres se situent dans le registre d’une intervention de médiation : « de rechercher avec les parents des solutions quant à l’objet du litige (…) ».
- En outre, une autre mission est mentionnée, qui n’entre ni dans le cadre des compétences d’un psychologue, ni dans celui d’un enquêteur : « de tenter de finaliser un protocole d’accord signé par les parties ».

Le discernement

 

Confronté à des missions ambiguës, il incombe au psychologue de les faire clarifier auprès du demandeur, et éventuellement de les refuser s’il estime que l’ambiguïté ne peut être levée, ou si la mission qui lui est confiée ne relève pas directement de ses compétences.
C’est ce qu’affirme le Titre I, 2 du code de déontologie des psychologues :
Titre I, 2 / Compétence. (…)  Chaque psychologue est garant de ses qualifications particulières et définit ses limites propres, compte tenu de sa formation et de son expérience. Il refuse toute intervention lorsqu’il sait ne pas avoir les compétences requises.
Ainsi que l’article 7 :
Article 7 - Le psychologue accepte les missions, qu'il estime compatibles avec ses compétences, sa technique, ses fonctions, et qui ne contreviennent ni aux dispositions du présent Code, ni aux dispositions légales en vigueur.

Conclusion
La situation présentée est illustrative de la méconnaissance que peuvent avoir les juges de la nature des expertises et enquêtes qu’ils demandent, de leurs cadres, de leurs finalités et des compétences et qualifications qu’elles requièrent.
A l’inverse, elle est aussi illustrative de la difficulté qu’ont parfois les psychologues à s’en tenir à leur cadre d’intervention, à le faire connaître aux personnes qui s’adressent à eux, et à refuser des missions qui n’entrent pas dans leurs compétences professionnelles.

Avis rendu le 05/05/07
Pour la CNCDP
La Présidente
Anne Andronikof

Articles du code cités dans l'avis : 7, 9, 19 ; Titres I, 2 ; I, 5

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Avis 06-12.doc

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